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Le Capitaine fantôme

Sur la mer, vers le passé

Traduit du finnois par Taina Tervonen
À la croisée du « Grand Marin » de Catherine Poulain et des « Naufragés du Wager » de David Grann, un récit d'aventures et d'amour sur les océans

Alors que la Grande Famine frappe la Finlande à la fin du XIX siècle, le capitaine Fridolf Höök prend la mer, direction la région de l’Amour en Sibérie extrême-orientale, avec une cinquantaine d’hommes et de femmes décidés à y créer une communauté autonome et égalitaire. Un projet rapidement mis à mal par des dissensions internes et des hordes de brigands sillonnant sans vergogne une contrée déjà naturellement hostile.

« Fridolf Höök marque son territoire. Il borne le terrain de sa ferme avec des coquilles nacrées en forme d’arc-en-ciel. Qui est cet homme d’une bizarrerie si charmante ? Qu’est-ce qui l’a poussé à s’en aller aussi loin, à l’autre bout de la Terre, au fin fond d’une Sibérie peuplée de bagnards condamnés à la perpétuité ? »
Katariina Vuori

Katariina Vuori, fascinée par le destin tragique de ce marin utopiste, se met en tête de reconstituer son voyage. Alors qu’elle se plonge dans les archives, elle se remémore son propre périple en mer long de plusieurs années, quand, elle aussi, était partie à la poursuite d’un idéal.

INFOS TECHNIQUES

Littérature étrangère
Récit de voyage
978-2-38134-062-3
416 pages
23 euros
2025

EXTRAIT

LA CLÔTURE EN OS DE BALEINE 

Une force irrésistible pousse Katariina Vuori vers le Capitaine Höök. Elle veut tout savoir de lui, comme si elle était tombée amoureuse de ce marin d’outre-tombe.

Je tourne les pages et je remonte le temps jusqu’au xixe siècle en Extrême-Orient russe, dans la région de l’Amour. Je commence à lire l’histoire d’un capitaine de navire finlandais qui doit faire face à la vengeance des « Barbes rouges ». Les « Barbes rouges », ou plutôt les honghuzi, sont des hordes de bandits chinois, coréens, mongols, sibériens et russes sévissant dans les régions de l’Amour et de la Mandchourie et connus pour leur cruauté. Ce sont des déserteurs, des mineurs qui fuient le travail forcé, des brigands professionnels.

Mais le personnage principal de ce récit lointain et mouvementé est le capitaine Höök. C’est la première fois que je lis son nom. Voici comment l’auteur le présente : « le Finlandais Fabian Fritiof (Fridolf) Höök, 43 ans, capitaine réputé, chasseur de baleines et explorateur, qui plus de dix ans auparavant avait conduit une première colonie d’émigrés finlandais depuis son pays jusqu’en Amour ».

Mon coeur s’emballe, comme toujours quand il est question de la mer ou de voyages d’exploration. Ce nom et cette courte description exhalent un parfum entêtant d’aventure.

Höök.

Je répète le nom, dans un léger soupir, telle une douce brise. Il est 9 h 22 et là, tout de suite après, dans quelques minutes, l’emballement aura lieu.

Suis-je encore en mesure de dire à quelle phrase, à quel mot, pour quel détail précis je me suis emballée ? Était-ce quand Halén rapporte les propos du zoologiste polonais Benedykt Dybowski qui décrit Höök comme un homme courageux ayant mené les cosaques russes à la victoire au cours d’une bataille contre les honghuzi ? Ou quand Halén raconte la terrible vengeance des vaincus en avril 1880 ?

Alors que le capitaine Fridolf Höök est sorti en mer, des hommes

honghuzi s’introduisent chez lui et laissent derrière eux le corps meurtri et ensanglanté de la gouvernante, suspendu à un crochet de lampe, pendouillant au milieu du salon. Lors de la même attaque, deux ouvriers sont tués et le fils de la gouvernante – un enfant auquel Höök était si attaché qu’il aurait envisagé de l’adopter –, un garçonnet de 7 ans, disparaît.

Non, ce n’est pas là que l’emballement est arrivé. C’est plus tard, lorsque je lis la description que fait Halén de la clôture de Höök, celle qu’il avait construite autour de sa maison dans la région de l’Amour. Il est alors 9 h 27.

Voici ce qu’écrit Harry Halén, et c’est précisément sur ces mots que l’emballement arrive : « Höök avait décoré le contour du jardin de sa ferme avec des crânes et des côtes de baleines, ainsi que de grands coquillages, qui scintillaient pour former une clôture étrange. »

Quelle image hypnotique, comme venue d’un rêve ensorcelé : mon compatriote tête brûlée, assoiffé d’aventure, un capitaine, chasseur de baleines et explorateur, arrivé là-bas, quelque part aux confins d’une terre que je n’arrive même pas à situer sur une carte avec précision. Je le vois, à contre-jour, en train de remonter les manches de sa chemise en lin, puis planter

sa pioche dans le sol, et dans le trou qu’il vient de creuser, il enfonce une côte de baleine qui embaume les algues et les crevettes.

Fridolf Höök marque son territoire. Il borne les terres de sa ferme avec des coquilles nacrées en forme d’arc-en-ciel.

Qui était cet homme d’une bizarrerie si charmante ? Qu’est-ce qui l’a poussé à s’en aller aussi loin, à l’autre bout de la terre, jusque dans les confins d’une Sibérie peuplée de bagnards à perpétuité et de travailleurs forcés ?

 

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