Les Veilleurs

Cinq vigies, autour des frontières

Des résistants de l'ombre œuvrent pour plus d'humanité sur les routes maritimes de l’exil

Les veilleurs peuvent donner la météo marine pour empêcher des naufrages, échanger avec les personnes en exil, alerter les gardes-côtes ou, bien trop souvent, accompagner les proches dans la recherche d’un disparu. Leurs gestes sont urgents, méthodiques et quotidiens. À cinq, ils forment un réseau informel qui porte secours aux personnes déterminées à tenter la traversée vers l’Europe.

À travers leurs voix, Taina Tervonen se fait l’écho de ce dont ils sont témoins : des hommes, des femmes, des enfants disparaissent sans laisser de traces, dans l’indifférence totale. Alors que la presse se désintéresse du sujet et que les États ferment les yeux, elle livre un récit nécessaire pour attirer l’attention sur l’ampleur de la catastrophe en cours à nos frontières. Les Veilleurs sont les portraits de ces citoyens porteurs d’espoir qui agissent et documentent ce que personne ne veut voir.

Lire l’extrait

« L’histoire est d’une simplicité désarmante : il faut écouter ceux qui ont besoin de parler. »
Taina Tervonen

Taina Tervonen est documentariste et journaliste indépendante depuis plus de vingt ans. Elle couvre depuis ses débuts la question des migrants et des disparus. Son travail a été récompensé par le prix Louise-Weiss du journalisme européen et le prix international True Story Award. Elle a reçu en 2022 le prix Jan-Michalski de littérature pour Les Fossoyeuses. Elle est aussi la co-autrice de la bande-dessinée À qui profite l’exil ? (Delcourt, 2023). Les Veilleurs est son troisième livre chez Marchialy après Les Fossoyeuses (2021) et Les Otages (2022).

PRESSE

« Une contre-enquête captivante. »
Le Monde, à propos des Otages.
« Un récit intense et nécessaire. »
La Croix, à propos des Fossoyeuses.
« Un livre incroyablement puissant. »
À propos des Fossoyeuses. Prix Jan-Michalski 2022.

INFOS TECHNIQUES

Littérature française
978-2-38134-059-3
224 pages
20 euros
2025

Extrait : Le premier naufrage

Ils ont fait ce qui leur a semblé juste.
Quand Taina Tervonen commence à recevoir des messages l’informant en direct de naufrages dans la mer Méditerranée et l’océan Atlantique, elle ne sait plus où se trouve sa place entre l’activisme et le journalisme.

Dimanche après-midi, je suis chez moi à Paris et un bateau vogue dans mon salon. Le message sur WhatsApp dit : « On va avoir 55 morts tout à l’heure. »

Il est 16 h 36, le 16 janvier 2022. Un bateau est en détresse entre le Maroc et les Canaries. Je pousse pour la première fois la porte de l’instantanéité, du temps qui s’écoule ici et sur la mer, ici et sur l’Atlantique. L’embarcation est partie de Tarfaya à minuit avec 55 passagers à bord, la marine marocaine a reçu une alerte à 4 heures du matin, cela fait plus de douze heures. Elle vient tout juste de sortir en mer pour procéder au sauvetage.

Nouveau message : « La marine marocaine ne les trouve pas. »

Puis, à 20 heures : « 10 survivants. 2 corps. Les autres ont disparu. »

C’est le premier naufrage auquel j’assiste en direct.

 

Pendant six ans, j’ai fréquenté les disparus de façon si assidue que j’ai eu besoin de m’en éloigner. Six ans de récits qui hésitent entre la vie et la mort, en Bosnie-Herzégovine et au Sénégal, entre les disparus d’une guerre et d’un nettoyage ethnique et ceux de la migration. Partout, des familles qui attendent un corps, une tombe, un récit – ou plutôt : le point final du récit. Pendant six ans, j’ai écouté les vivants qui cherchent leurs morts, puis j’ai décidé de mettre un point final à mon récit à moi. Les disparus attendront, m’étais-je dit, et j’ai organisé une fête pour l’annoncer à mes amis : désormais, je raconterai d’autres histoires, des histoires de vie ! Un an après, les messages urgents sont arrivés : entre le Maroc et les îles Canaries, des bateaux entiers disparaissent, des bateaux que l’on sait partis et jamais arrivés. Il n’y a ni survivants ni épaves. Les secours mettent de plus en plus de temps à intervenir, de plus en plus souvent ils arrivent trop tard, alors que l’océan a déjà tout englouti. En décembre 2021, plus de 100 personnes ont disparu sur la route des Canaries. La personne qui m’écrit me donne des dates et des points de départ, des nombres de passagers, avec, de l’autre côté de l’eau, aucune arrivée enregistrée. « Personne n’en parle », écrit-elle.

Sur WhatsApp, d’autres messages arrivent, avec des décomptes précis. Je demande à celle qui me les envoie d’où elle les tient. C’est alors qu’elle me parle des quatre autres, que je ne connais pas encore.

À cinq, ils forment un réseau informel qui cherche les disparus de la Méditerranée et de l’Atlantique. Je comprends que chacun a débuté seul, pour aider une personne, quand une situation concrète s’est présentée. Puis leur page Facebook ou leur numéro WhatsApp se sont mis à circuler sur les réseaux sociaux, parmi ceux qui tentent la traversée vers l’Europe et leur famille. Peu à peu, ils ont commencé à recevoir des informations sur des bateaux en détresse en mer, envoyées par les passagers ou par leurs proches. Ils ont fait ce qui leur a semblé juste : ils ont commencé à alerter les secours et à faire des listes pour garder une trace de ce dont ils sont témoins.

Aujourd’hui, ils veulent alerter la presse. C’est pour ça qu’ils me contactent. Sur l’instant, leur demande me paraît aussi vertigineuse que la réalité dont ils sont en train de me faire part. La presse est devenue de plus en plus frileuse sur tout ce qui touche à la migration. Je suis bien placée pour le savoir : cela fait vingt ans que je travaille sur le sujet en tant que pigiste.

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