BAD NEWS

Derniers journalistes sous une dictature

Traduit de l'anglais (Inde) par Charles Bonnot
BAD NEWS
Véritable manifeste sur la liberté d’expression, le récit d’Anjan Sundaram dresse un portrait édifiant de la situation politique au Rwanda.

En 2009, un programme de l’Union européenne demande à Anjan Sundaram, grand reporter, de venir enseigner le journalisme au Rwanda. Alors que ce cours devient un lieu d’échange pour des journalistes indépendants souvent isolés, le gouvernement, à l’approche des élections présidentielles, intensifie le contrôle de l’information. Des journalistes sont menacés, certains obligés de fuir le pays. Anjan prend alors pleinement conscience de la complexité du contexte politique et du danger qui pèse sur la vie de ses élèves.
Si le Rwanda a connu ces dernières années un fort essor économique, la liberté d’expression y est toujours menacée. Bad News est un récit important qui dénonce les dérives d’un régime autoritaire. Plus qu’un simple témoignage, c’est un manifeste pour la liberté d’expression.

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BAD NEWS
« Ahurissant ! Bad News explore dans le détail (et sur le terrain) les mécanismes d'une dictature et pointe la nécessité absolue d'un journalisme livre. Une lecture INDISPENSABLE ! »
Librairie Calligrammes

L’auteur

Anjan Sundaram est un journaliste indien qui partage sa vie entre le Cambodge et les États-Unis. Il a voyagé plusieurs années en Afrique. Il a reçu plusieurs prix dont le Reuters prize en 2006.

PRESSE

« Une plongée fascinante, et hautement perturbante, dans ce Rwanda de l’ombre.  »
Jeune Afrique
« Une réflexion percutante sur les rouages des régimes dictatoriaux, le rôle de la presse libre et la notion de vérité.  »
Le Monde

INFOS TECHNIQUES

Littérature étrangère
Journalisme d'investigation
979-10-95582-32-8
210 pages
21.49 euros
2018

Extrait

Anjan Sundaram comprend peu à peu que les signes de la dictature peuvent aussi se trouver dans ce qui est invisible. Dans ce passage, il comprend que l’ombre au pied des lampadaires scintillant en est un exemple probant.

Après des jours de silence, Gibson était d’humeur bavarde. L’agacement perçait dans sa voix, mais aussi l’impatience, l’angoisse. Il était en colère de devoir quitter la patrie dans laquelle il avait grandi et qu’il aimait. Il avait cru en son pays, en son avenir. Son destin lui semblait injuste.
« Tu as remarqué ? demanda-t-il soudain.
— Remarqué quoi ? »
Il tendit le doigt.
« Les lumières. Tu en as déjà vu des semblables ? »
Il s’interrompit. Je n’étais pas certain de voir où il voulait en venir, mais je regardai attentivement la rangée de points orange que formaient les lampes de sodium le long de la route.
« Tu as grandi à Dubaï, c’est ça ? »
J’acquiesçai.
« Est-ce que tu as fait attention à la distance entre les lampadaires ? Dis-moi, est-ce qu’ils sont aussi rapprochés à Dubaï ? »
Je n’avais jamais remarqué.
« Non. Probablement pas », répondis-je finalement. Je lui demandai d’où il tenait ses informations sur les lampadaires de Dubaï. Il avait vu des photos et, en tenant compte de l’échelle, avait comparé l’espacement.
« En regardant les lampadaires, on pourrait croire que le Rwanda est un pays riche en ressources. Mais seule 4 % de la population a l’électricité chez elle. 4 % ! C’est incroyable. Mais c’est la première chose que voient les visiteurs. Et c’est impressionnant, ils sont stupéfaits qu’un petit pays d’Afrique qui a vécu un génocide ait maintenant de telles routes et un tel éclairage public. »
Je lui demandai ce qu’il pensait de cet éclairage.
« Attends un peu. Regarde en bas de la colline. En dessous de la ligne des lampadaires. Tu vois comme tout est noir dans la vallée ? Il y a quoi là-bas ? »
J’étais touché par l’effet de son ton clair et direct — Gibson, ému, voulait exprimer quelque chose d’important, qui lui tenait à cœur. Je restais attentif à chacune de ses paroles.
« Les gens ordinaires vivent là-bas. Ils vivent dans cette obscurité. Et maintenant, regarde la rue. »
La lumière soudaine, son éclat m’éblouirent un peu.
« Tu vois les voitures qui montent et qui descendent. Est-ce que tu vois des gens ? »
Non. Personne.
« Où sont les gens alors ? »
Je n’étais pas sûr. Qu’essayait-il de me dire ? Je commençais à prendre doucement conscience d’un bruit. Des pas traînants, des murmures, le frottement de vêtements trop amples sur des corps maigres. Je me retournai pour regarder ce qu’il se passait en bas de notre rue qui, dépourvue d’éclairage, était plongée dans le noir. C’était une rue pavée, périlleuse, surtout la nuit — j’avais souvent trébuché sur les pierres et manqué de tomber. La route grimpait à flanc de colline et était dépourvue de barrière. On pouvait facilement glisser et dévaler la pente. C’était pourtant ce chemin que les gens choisissaient. C’était l’heure à laquelle les hommes et les femmes quittaient leur travail et rentraient chez eux d’un pas lent, utilisant leur poids pour se projeter en avant, s’appuyant sur leurs jambes pour gravir notre colline. Une marée humaine en pleine ascension.
« Pourquoi marchent-ils dans le noir ? On pourrait croire qu’ils préféreraient utiliser ces magnifiques routes toutes neuves qu’on nous a apportées — n’est-ce pas là le développement, le progrès ? Mais non. Ah regarde cette route ! Tout le monde peut venir la voir par lui-même ! Tu commences à comprendre notre pays maintenant ? Nous les pauvres, nous sommes comme des insectes, nous avons peur de la lumière. Nous nous cachons du gouvernement qui veut nous voir tout le temps. Tu vois maintenant que la vérité est dissimulée dans notre pays, il ne faut pas chercher ce qui est là, mais ce qu’ils cachent. Tu peux ne pas prêter attention à ce qu’ils te montrent, mais tu dois écouter ceux que l’on fait taire. Tu dois avoir un regard différent sous une dictature, tu dois réfléchir à comment écouter ceux qui vivent dans la peur. »
J’étais stupéfait par cette route puissamment éclairée qui se déroulait sous mes yeux, vide, comme brûlée dans le flanc de la colline. Je l’avais eue devant moi tous les jours, mais je ne l’avais jamais vraiment vue.

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